jeudi 9 mars 2017

Homère à la rescousse de l'Occident décadent

« Homère est nouveau, ce matin, et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’aujourd’hui » : par cet aphorisme, le « mécontemporain »(1) Charles Péguy soulignait autant l’intemporalité de l’œuvre léguée par l’aède grec que l’obsolescence des gazettes relayant des nouvelles qui se bousculent désormais à un rythme effréné. S’il ne devait rester que deux textes de la production littéraire et culturelle fournie par l’espace européen, l’Iliade et l’Odyssée, plus sans doute que la Bible et forcément que l’œuvre de Guillaume Musso, seraient vraisemblablement ceux-là. Rédigées au VIIIe siècle avant notre ère, et conservées par-delà les âges en ne cessant d’être une source d’inspiration, de Pindare à Giraudoux, elles incarnent, en lettres de chair, la civilisation occidentale « aux origines grecques » et portent en germe les conditions de sa palingénésie.

Chez Homère, l’individu souverain demeure maître de son destin, quoique, époque oblige, forcément influencé par les divinités qui, bien qu’au-dessus de la mêlée, s’incarnent jusqu’à prendre fait et cause pour un des protagonistes : Aphrodite soutient Pâris qui l’avait élevée au rang de plus belle parmi les déesses, Arès se range du côté des Troyens, Athéna et Hermès viennent en aide à Ulysse, Poséidon s’oppose à lui, Eole oscille entre les deux positions. En réalité, l’intervention divine hâte les destins individuels davantage qu’il ne les influence réellement. D’ailleurs, tempère l’académicienne helléniste Jacqueline de Romilly, « quand ils interviennent, eux qui peuvent tout, ce n’est point pour faire s’effacer la raison humaine. Au contraire, on dirait qu’Homère offre toujours, dans l’Iliade, des miracles que chacun peut y reconnaître, en tous les temps, les souvenirs familiers des surprises imposées par la vie »(2). Le christianisme, qui doit sa mainmise sur l’Occident à son OPA sur un monde romain en déclin, inversera les rôles en faisant découler toute chose du tout-puissant.